Profondeurs et langage ondulatoire
Profondeurs et langage ondulatoire
L'heure
se faufile habilement dans les couleurs du jour qui se réveille
laissant le jeu des lumineuses s'enraciner dans le substrat enténébré de
Mélia. Cette fois, l'hédonisme de cueillir l'aube encore tremblante et
toucher de ses doigts obscurs la nature au hasard de ses promenades
n'aura pas lieu.
Dehors, la course folle du vent souffle son chant
funèbre, amplifiant dans les plaines encore floues de son esprit, les
bruits de pas des quelques passants se hâtant sur le sol humide d'une
pluie lourde et abondante égrainant ses soupirs. Alors que l'intensité
de l'onde de force fouette ses gouttes de larmes aux parois des vitres,
Mélia s'approche de la fenêtre et sent en à peine une respiration les
quelques sortilèges orchestrés par le vent claquer en cadence et gagner
sa chair jusqu'au creux de son ventre implantant en tourbillons insipide
son vouloir dans son ADN.
Dans un mouvement de recul, elle détourne
son tiède regard vers l'homme qui partage ses doutes et ses peurs et de
sa main blanche, tire soigneusement un rideau lourd, dont le froissement
silencieux offre un asile à la désirance protéiforme qui se déploie au
palais de son allégorie. Dans une solitude moniale, elle ajuste sa
longue chevelure d'un roux flamboyant sur ses épaules nues, fait glisser
les bretelles de sa chemise qui, dans un bruissement de soie, libère la
chaleur de son corps.
D'un geste assuré, elle prend la robe de
dentelle noire et la paire de collants posés sur le fauteuil, puis
s'habille. Silencieusement, sa silhouette gracile sort de la chambre
avec la grâce de la pureté fragile qui défit la pesanteur, laissant
trainer derrière elle les fragrances du doux cytise mielleux de sa peau.
Les
lèvres ourlées du feu du désir, les cheveux en broussaille, il l'a
regarde, fasciné, s'éloignant, légère, vibrante comme les notes
mélodieuses des paradis artificiels. Mélia traverse le petit couloir qui
mène vers la pièce principale où l'odeur d'humidité qui en émane est
comme une coruscation dans ses ténèbres.
Là, sans trop encombrer
l'espace, des meubles fonctionnels occupent les murs de pierre, des
objets de toutes sortes dispersés çà et là ainsi qu'une table où trônent
spatules, mirettes et ébauchoirs qui attendent de se mettre à
l'ouvrage.
Tout en se dirigeant avec assurance vers l'aile de la
pièce qui lui sert d'atelier, un sourire illumine ses traits. Elle
saisit un tabouret puis, s'assied face à l'hybride protéiforme qui se
tient devant elle.
Un léger tressaillement le long de son dos agit
tel un catalyseur et ses mains propulsées par une énergie intérieure,
entrent avec dextérité en contact avec l'argile qui la renvoie à la
matière vivante d'elle-même. Amené par la profondeur du geste, son
langage ondulatoire exprime alors le sentir au plus près de la peau et
le voir au miroir heuristique de son mentale. Disposant à la fois de la
paume et des ongles, elle malaxe avec furie la glaise qui se transmue en
chair sous ses phalanges se laissant apparaître comme le corrélat de sa
labilité émotionnelle. Dès lors l'éclosion de la corporéité de sa
genèse devient l'essence à l'incarnation irriguée par ses pulsions.
Aussitôt,
un vertige lui crispe les entrailles, tant dans les lignes de sa
création le réel est étroit. La divergence des sens de son être a fait
naître la convergence des essences.
Cette ambivalence de vérité
authentique et artificielle, fluctuante et paradoxale l'envahit comme un
arc-en-ciel. Le buste raide, les lèvres tremblantes, les yeux couverts
de son voile uniforme, Mélia caresse dans une sorte de fovea tactile la
survenance qui s'inscrit dans la dimension où sa main l'a créée et
pensée.
Ainsi pénétrée de cette sphère qui l'embrasse jusqu'à altérer
son opacité, elle sent la chaleur des bras qui l'avaient enlacé toute
une nuit se refermer sur elle, puis la contourne, et s'emparant de
l'obscurité de son regard, lui murmure à mots à peine soufflés:
« Tu as placé ton âme au bout de tes doigts et elle a fait ressortir ton inclination. »
Ses
mots s'accrochent alors à ses lèvres et portée par sa phrase, Mélia
réalise enfin que ce qui lui a permis de repousser les limites de son
champ de vision fait de courant fluidique, n'est autre que l'altérité et
conscience de soi.
Lauréate du prix René Flament au Grand Concours Littéraire2016 des ARTS - SCIENCES - LETTRES.
Prix Thérèse Mercier du Grand concours Littéraire 2015 de L'académie Européenne Des Arts- France
Auteur Gallet Sonia Écrivain Nouvelle © 2017

Commentaires
Enregistrer un commentaire